• Faut-il craindre un éclatement de la zone euro ?

     Faut-il craindre un éclatement de la zone euro ?
    (Avril 2010)

     

    Douze ans après sa création, l'euro connaît actuellement un tournant déterminant dans son existence. Alors que la monnaie unique devait être un outil commun, gage de solidarité entre États européens, elle a finalement vécu « une enfance difficile ». Dès décembre 2008, la Lettre de l'OFCE pointait ce constat déroutant : l'euro séduit alors que la zone euro déçoit. Le centre de recherche en économie de Sciences Po notait ainsi « un écart grandissant, et à certains égards inquiétant, entre ambitions et réalisations, entre États membres d'une part et entre citoyens et monnaie unique de l'autre ». Aujourd'hui une partie de ses membres se retrouvent en situation précaire, et c'est comme si d'un seul coup toutes les contradictions et les imperfections de la zone se retrouvaient mises en exergues. La monnaie unique a été à l'origine de grandes réussites notamment autour de la question de la stabilité des prix. Mais les situations délicates des pays tels les « PIGS » (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne) ou même l'Italie –  écrasés sous le poids de dettes faramineuses – et l'incapacité des États membre de l'Union économique et monétaire (UEM) à s'entendre sur une stratégie pour sortir de l'impasse, laissent sérieusement craindre un risque d'éclatement de la zone.   Qu'en est-il réellement ? Doit-on s'attendre à une sortie volontaire ou à l'éviction de certains pays de la zone euro ? Il s'agit pour nous de comprendre tous les enjeux qui se cachent derrière les difficultés d'un pays comme la Grèce (incapable de faire face seul à ses propres difficultés), que ce soit pour le pays en lui-même ou pour la zone euro dans son ensemble.

     

    Avec la monnaie unique, la seule expérience de gouvernance européenne a été la mise en place des critères de Maastricht traduisant la volonté commune de convergence et de limitation de l'inflation, de convergence des taux nominaux et de maîtrise des dettes et déficits publics. Cette politique, grâce à l'action d'une Banque centrale européenne (BCE) indépendante s'est révélée efficace dans un premier temps. Jamais en trente ans les pays qui forment cette zone n'avaient connu un taux d'inflation aussi bas. La stabilité des prix et la stabilité de l'inflation font parties des grands succès de l'euro. Seule l'Irlande avait fait mieux avant la constitution de la zone, mais elle a profité d'une croissance forte après l'adoption de l'euro et surtout d'un taux d'intérêt réel plutôt bas, comme nous le verrons par la suite.

    La politique monétaire de le BCE s'est ainsi révélée être la seule politique coordonnée (puisque issue d'une instance supranationale) des pays membres de la zone euro. Néanmoins, le manque de cadre pour la gestion économique a conduit chacun des pays à tirer profit dans leur coin des avantages permis par l'euro. Les taux d'intérêts nominaux globalement bas ont permis à des pays où l'inflation était supérieure à la moyenne européenne de profiter de taux réels encore plus bas. C'est le cas notamment de l'Espagne et de l'Irlande pour qui l'euro a favorisé un fort endettement du secteur privé : le taux de croissance du crédit, très rapide, a alimenté excessivement la consommation des ménages (et ce au-delà de leurs capacités de remboursement). Dans d'autres pays comme en Grèce, ces taux réels bas ont favorisé le financement d'un système social généreux et donc a entrainé le creusement des déficits et de la dette publique. A l'opposé, d'autres pays ont profité de la lisibilité offerte par la monnaie unique et par le taux de change fixe pour gagner en compétitivité. La fixation  des taux de change des anciennes monnaies a fermé la voie aux dévaluation, mais n'a pas figé les compétitivités relatives. L'Allemagne qui était entrée dans la zone euro avec une monnaie surévaluée (compétitivité moindre) est redevenue championne de l'exportation grâce à des gains de productivité obtenus par des compressions de coûts, des délocalisations et des mesures fiscales. Au contraire, la France et l'Italie qui avaient une balance commerciale excédentaire ont perdu du terrain (balance commerciale de la France : + 2,4 milliards d'euros en 2003, - 43,0 milliards en 2009). Ainsi, les critères de Maastricht, au lieu de participer à la convergence des économies a créé un accroissement des écarts de compétitivités entre notamment les « PIGS » (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne) et l'Allemagne.

    Aujourd'hui, c'est la situation grecque qui se révèle être un grand défi pour la zone euro, le premier depuis sa constitution à la fin des années 1990. Le gouvernement socialiste grec arrivé au pouvoir en 2009 a annoncé un déficit corrigé de 12,7% du PIB (au lieu des 3% préconisé par le traité de Maastricht) ce qui élève la dette publique de l'État à plus de 113% du PIB (alors que le traité de Maastricht prévoyait une limite à 60% du PIB). Pour financer le déficit et obtenir les fonds nécessaires pour combler la dette, l'État grec emprunte en émettant des obligations qui prennent la forme de titre de créance achetés à l'État par les investisseurs institutionnels (banques, fonds de pension, compagnies d'assurances,...). Des intérêts sont versés à intervalles réguliers aux créditeurs (intérêts de la dette). Les agences de notations, chargées d'évaluer les différents marchés, se fondent alors sur des critères tels que le niveau du déficits ou de la dette pour rendre leurs conclusions et noter les perspectives de remboursement des obligations. Si – comme pour le cas de la Grèce – la note est mauvaise, le risque de défaut de paiement de ses obligations est plus important, et l'État doit gonfler les taux d'intérêts des obligations pour encourager les créditeurs à prêter, et les intérêts de la dette augmentent de facto. C'est ce qui s'est passé en Grèce en décembre 2009 . Dans un même temps, les investisseurs institutionnels négocient des dérivés sur événement – ou CDS (Credit Default Swap). Les CDS sont des assurances qui garantissent le paiement des obligations jusqu'à leur terme. Ainsi, les investisseurs institutionnels, tout en prêtant de l'argent, spéculent sur le fait que la Grèce ne pourra pas honorer les intérêts de sa dette. Si les CDS deviennent cher, les marchés deviennent méfiants, et il devient difficile pour la Grèce d'emprunter.

    Que se passe-t-il alors pour la Grèce ? Si elle ne peut rembourser ses emprunts à échéance, elle se retrouve en situation de défaut de paiement. Or, si cette situation arrivait, cela aurait des répercussions dramatiques pour toute la zone euro : d'une part sur les pays créditeurs (comme la France, mais surtout l'Allemagne) mais aussi sur les investisseurs privés qui avaient acheté les obligations de l'État grec. Les conséquences seraient alors tout aussi dramatiques pour des pays en difficultés comme les « PIGS », qui du fait du niveau de leurs dettes et de leurs déficits, se retrouveraient dans une situation similaire à la Grèce, ne pouvant plus emprunter (et ce d'autant plus que les pays créditeurs et les investisseurs institutionnels ayant perdu beaucoup d'argent dans la crise grecque, ne se risqueraient pas à financer ces économies).

    Les solutions pour la Grèce (et pour les autres pays européens qui risquent de se retrouver dans une situation similaire) ne font pas légion, et la délicatesse de leurs réalisations illustre toutes les imperfections de la zone euro et la met en situation plus que délicate. Il existe ainsi deux possibilités dans une économie ouverte. La première consiste ) faire marcher la planche à billets, au risque de créer une inflation et un appauvrissement durable du pays. L'autre solution est faire appel au Fonds monétaire international (FMI) : celui-ci accorde à l'État une ligne de crédit – à la condition que celui-ci conduise à nouveau une politique financière soutenable – ce qui rassure les créanciers sur la capacité de l'État à rembourser ses prêts.

    Cependant, dans la zone euro, l'État n'a ni sa propre monnaie, ni la maîtrise des taux de change. Pour faire marcher la planche à billets, l'État devra quitter la zone euro ; mais cette situation se révélerait coûteuse à la fois pour la population et pour le pays (cela aggraverait son risque de faillite, et il faudrait de nombreuses années pour redonner de la confiance en sa monnaie et avoir accès aux marchés de capitaux à un taux d'emprunt raisonnable), et ce d'autant plus que la zone euro ne serait pas à l'abri d'un effet domino avec les défections probables des autres « PIGS ». Le risque à terme est donc un éclatement pur et simple de la zone euro. Quant à faire appel au FMI, cette solution apparaît plus intéressante, mais difficile techniquement à mettre en œuvre dans une union monétaire : le FMI estime le niveau de son appui financier en fonction des besoins de réserve de la banque centrale. Or, le FMI peut-il vraiment prêter à un État de la zone euro ? Surtout que la zone  est la première actionnaire du FMI, et que sa monnaie est la deuxième monnaie de réserve au monde. C'est un peu comme si le FMI prêtait à l'État de Californie.

    Le défi est donc de taille pour la Grèce comme pour l'ensemble de l'UEM. Comme le note Francesco Saraceno « mis à part les spéculateurs, aucun acteur n'a aujourd'hui intérêt à une sortie de Grèce de la zone, ou à un éclatement de la zone ». Aucun intérêt pour la Grèce, comme nous l'avons vu. Pas plus pour les autres pays européens qui feraient face à l'éclatement de la zone par effet domino, et qui subiraient le défaut de paiement du pays en tant qu'ils sont pays créditeurs. Quoique puisse dire l'Allemagne, championne de l'orthodoxie économique, tous les acteurs européens ont intérêt à payer le prix d'un sauvetage de la Grèce.

     

    Au final, si comme le rappelle Francesco Saraceno, la Grèce est minuscule par rapport à l'Europe, en terme de PIB et en terme de dette, le sauvetage de la République Hellénique est une nécessité pour l'Europe en tant qu'elle doit faire la preuve de ce pourquoi l'UEM a été créée, à savoir la solidarité inter-étatique. De plus ce n'est pas la banqueroute en elle-même de la Grèce qui risque de nuire à la zone euro, mais c'est la crédibilité de la zone auprès des investisseurs qui risque de pâtir d'un éventuel défaut de paiement d'une partie de ses membres. Cependant, le comportement irresponsable, ou la gestion dangereuse des « PIGS » et le pseudo-égoïsme de l'Allemagne qui rechigne à venir en aide aux états en difficulté, révèlent le grave manque de coordination et l'absence de gouvernance économique au sein de la zone euro. Gouvernance dont l'Europe devrait se doter afin de mettre un terme à la disparité des comportements des acteurs européens et avancer vers la fondation d'une véritable zone monétaire optimale au sens de Mundell.


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