• Dissertation : « La vie est un songe un peu moins inconstant »

    NB : S'agissant d'une dissertation d'un étudiant (et non pas d'un philosophe ou professeur de philosophie), je vous conseille de prendre du recul vis-à-vis de ma "production". Si le coeur vous en dit, vous pouvez réagir et faire votre propre réflexion, je me ferai un plaisir de la publier.



    « La vie est un songe un peu moins inconstant » <o:p></o:p>

    (B. Pascal –  Pensées)

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    Cette phrase que l’on doit à Pascal vient conclure une réflexion de l’auteur sur les rapports existant entre le monde du rêve et celui de l’éveil. Un artisan qui rêverait chaque nuit qu’il est roi ne serait-il pas aussi heureux qu’un roi qui chaque nuit rêverait qu’il est artisan ? En effet, la frontière entre l’éveil et le songe semble difficile à déterminer, et ce d’autant plus que nous sommes rarement capables de savoir que nous rêvons en plein songe. De plus, lorsque nous sommes éveillés, il nous arrive de dire spontanément « Je crois rêver », comme pour souligner que ce que nous percevons comme étant la réalité nous trompe au point que l'on peut s'interroger si la vie réelle n’est pas moins inconstante que le rêve. Ainsi il convient de se demander de quelle manière pouvons-nous savoir que nous ne rêvons pas ? Qu’est-ce qui permet de s’assurer que nous soyons éveillés, qu’il existe une réalité ?

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    Ce qui nous apparaît en rêve n’est jamais totalement faux. Ce dont nous rêvons est le miroir de ce que nous considérons comme réel. Si je peux rêver de quelque chose, c’est que j’ai conscience de l’existence de cette chose. Ainsi comme le dit Descartes dans ses Méditations Métaphysiques, le rêve est comme l’oeuvre d’un peintre : s’il peint des sirènes où d’autres créatures chimériques, c’est qu’elles ressemblent à des choses existant dans la nature (les sirènes sont ainsi faites avec des yeux, une tête, des bras, une queue de poisson, … autant de choses qui sont issues de la nature). Il en va de même pour les rêves qui présentent des éléments que nous tirons de la période de veille, car sinon nous ne pourrions en avoir conscience. Ce que nous rêvons n’est donc pas une pure fiction (au sens où parmi ce qui nous apparaîtrait à l’esprit, il y aurait des éléments qui ne correspondrait à rien d'équivalent durant l'éveil).

    Putnam prolonge cette hypothèse en imaginant l’expérience du cerveau dans une cuve. Elle s’apparente à une version modernisée du malin génie de Descartes. Putnam imagine ainsi un savant fou qui kidnappe des personnes endormies afin de leur retirer le cerveau. Celui-ci est alors mis dans une cuve où il reçoit par l’intermédiaire d’électrodes, des stimuli qui suscitent chez les cobayes toutes sortes d’états mentaux, recréant ainsi pour chacun une véritable réalité virtuelle. Les patients ont ainsi la sensation de vivre la réalité, alors qu’ils ne se doutent pas que leur cerveau se trouve dans une cuve. Ainsi, les individus victimes du savant ont la conviction de vivre dans le réel, alors qu’ils ne connaissent qu’un songe artificiel, et rien ne leur permet de savoir la réalité.<o:p></o:p>

                Aussi, il est tentant de réfuter qu’un rêve se distingue de la réalité par son caractère beaucoup plus inconstant. Nous faisons souvent l’expérience de rêve sans aucune logique ou cohérence, de telle sorte qu’au réveil, nous nous rendons compte de l’absurdité de notre songe. Pourtant, nous faisons également l’expérience du caractère incohérent, illogique du monde qui nous entoure et que nous considérons comme la veille. Aussi, cette inconstance est repérable dans la façon dont nous apparaissent les choses. Lorsque j’observe une table, sa couleur varie selon les endroits (notamment sous l’effet de la lumière) ; en l’absence de lumière, la couleur de la table disparaît. L’argument de la constance ne permet donc pas objectivement de différencier la « vie » du « songe ». Aussi, dans la pièce La vie est un songe de Calderon,  Sigismond ne peut faire le partage entre le rêve et la réalité : ce qu’il voit n’a plus de consistance puisqu’il passe de la servitude et de la misère à la royauté et la puissance. Mais seulement cette apparence est entretenue : elle n’est ni spontanée, ni naturelle. Des serviteurs entretiennent les apparences dont est victime Sigismond. En tuant un homme, Sigismond ne peut éviter les représailles ; s’il rêvait réellement il aurait pu tuer en toute impunité. La réalité semble donc toujours là, même cachée derrière les apparences.

                Le rêve n’est pas une pure fiction, il tire ses images de la nature. Il est donc légitime de se demander si la veille n’est pas autant un rêve que le songe, et que tout n’est qu’apparences. Seulement, n’existe-t-il pas une réalité cachée derrière ces apparences ?<o:p></o:p>

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    L’état de veille semble se différencier de l’état de rêve par une différence de vivacité des impressions sensibles : quand je suis éveillé, j’ai l’impression de ressentir davantage que dans un songe. Pourtant celles-ci ne sont pas nulles dans un rêve, ce qui semble expliquer le fait que le songe soit pris pour une expérience véritable pendant le sommeil. Descartes fait ainsi la même remarque : « Combien de fois m'est-il arrivé de songer la nuit que j'étais en ce lieu, que j'étais habillé, que j'étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit? ». Or, comme l’affirme Kant dans Essai sur les maladies de la tête, les impressions des sens, parce qu’elles existent, rendent plus pour véritable le rêve qu’un raisonnement rationnel. Quand nous rêvons, nous avons la sensation d’être dans le réel, autrement dit, ce n’est que par l’action de nos sens que nous pensons vivre des événements réels. Au contraire, même si dans le réel nous vivons des expériences sensorielles, nous faisons également appel à notre raison : face à une situation que nous ne comprenons pas, nous nous efforçons de trouver une raison logique à cet évènement, chose qui ne semble pas être possible durant le sommeil. Ainsi, lors du sommeil nous faisons plus preuve de passivité que lors de l’éveil où nous pouvons faire un effort de réflexion supérieur.

    Pourtant il nous arrive de rêver et de prendre conscience de notre état endormi. C’est ce que l’écrivain sinologue Léon d'Hervey de Saint-Denys appelle « le rêve lucide ». Descartes en fait l’expérience dans un des rêves qu’il fit la nuit du 10 au 11 octobre 1619. C’est par Adrien Baillet que nous avons une trace de cette expérience : « Ce qu’il y a de singulier à remarquer, c’est que doutant si ce qu’il venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c’était un songe, mais il en fit encore l’interprétation avant que le sommeil le quittât ». Or dans cet état nous pouvons douter de tout ce qui parvient à nos sens, nous sommes dans un état de scepticisme absolu. Ainsi, en reprenant le cheminement du cogito, la seule chose dont nous sommes certains c’est que nous sommes en train de rêver (puisque tout le reste ne semble être que l’illusion du rêve). Je pense que je rêve, donc je pense, donc je suis (pensant que je rêve). Le cogito ne nous permet donc pas à ce moment de savoir autre chose que notre essence comme personne qui pense qu’il rêve et non pas comme être vivant dans une réalité. La seule chose que je sais c’est que je suis « une chose qui pense ». Lors de l’éveil je ne suis pas plus sur de la réalité du monde qui m’entoure. La seule chose dont je ne peux toujours pas douter c’est que je pense. Or si j’ai cette idée comme indubitable, c’est qu’un Dieu parfait garantit cette réalité objective. Nous avons donc ici la connaissance et la certitude d’un réel objectif, mais nous ne pouvons toujours pas conclure que la réalité soit aussi réelle que nous pousse à croire la certitude spontanée d’appartenir à une nature réelle.

    Il semblerait ainsi qu’il existe une réalité et que cette réalité est l’existence de la personne qui rêve. Cependant rien ne nous permet d’affirmer que l’éveil n’est pas un rêve et que le songe est un rêve dans un rêve.

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    Pour Sartre dans L’imaginaire, l’homme ne peut être véritablement conscient qu’à partir du moment où il est éveillé. Il s’oppose au « rêve lucide » considérant que toutes les fois où le dormeur se dit « je rêve », il connaît un réveil momentané, c’est ce qu’il nomme la conscience réflexive. Seulement cette conscience réflexive disparaît aussitôt, si bien que le dormeur ne se réveille jamais totalement. En effet, la période du sommeil où nous rêvons, le sommeil paradoxal, se caractérise par une activité électrique similaire à l'éveil. Ainsi il n’est pas étonnant que le dormeur se trouve très brièvement en situation de veille. La brièveté de cet éveil est confirmée par l’absence de raisonnement qui suit le jugement du dormeur quand il se dit « je rêve » : si nous pouvions avoir effectivement conscience de notre état lorsque nous sommes sous l’emprise des songes, nous chercherions dans notre sommeil des arguments, des preuves de notre état. Ce que, dans un état de veille, nous nommions précédemment comme un effort de réflexion supérieur à celui que nous pouvons faire pendant le rêve est donc en réalité la conscience réfléchie : lorsque nous rêvons nous sommes conscients (dans le sens où nous éprouvons des sentiments ou des sensations), mais nous ne pouvons prendre conscience de notre conscience que lorsque nous sommes éveillés.

    Il s’ensuit une impossibilité d’énoncer le cogito en plein rêve. Nous ne pouvons le faire en réalité que dans un état d’éveil. Quand je me rends compte que je rêve, je ne suis pas réellement en train de rêver. Il est donc aussi impossible d’énoncer au présent de l’indicatif  « je rêve » que de dire « je suis mort ». Il serait plus pertinent de dire « j’ai rêvé » plutôt que je rêve. Supposer que l’on puisse faire la réflexion du cogito en plein rêve est donc une erreur. Cependant il nous permet de dire que je ne peux être certain que d’une chose, c’est de ma réalité dans le monde où je suis éveillé. Ici aussi donc nous pouvons  distinguer le rêve de la vie, car je ne vis (autrement dit je suis et j’existe) uniquement dans un état de veille (ou du moins, rien ne me permet de prouver ma réalité dans le rêve).

    Mais, nous ne pouvons toujours pas savoir si le monde réel est tel que nous nous le représentons. Néanmoins, Wittgenstein dans De la certitude, distingue ce que nous savons de la vie supposée réelle et ce dont nous sommes certains. Face à ma main, je ne puis savoir si ce que j’observe est ma main, mais j’en suis certain. Pourrais-je vivre en doutant continuellement de la réalité du monde tel que je le perçois ? Pouvons-nous douter que ce que j’ai là est ma main ? Nous ne le pouvons pas réellement sinon nous ne nous en servirions pas. Je ne sais pas si c’est une main (rien ne vient prouver que c’en est une indiscutablement), j’ai néanmoins la certitude spontanée qu’elle existe. Nous ne pouvons vraiment douter de ce que l’on veut douter. Dans ma vie de tous les jours je ne doute pas que j’ai une main ; en voulant douter de son existence, je ne la supprime pas car j’ai la certitude qu’elle existe. Je suis certain qu’il s’agit là de ma main, le savoir ne me préoccupe pas.

    Nous ne pouvons ainsi avoir de conscience réfléchie qu’en dehors du rêve. Nous ne pouvons être assurés de notre existence que dans un état de veille, car seul à ce moment là nous sommes pleinement conscients. Et ce que notre conscience réfléchie nous dicte nous donne la certitude du réel, sans en avoir la connaissance parfaite.

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    La vie est repérable par son inconstance, comme le suggère Pascal en disant « La vie est un songe un peu moins inconstant ». Mais, par bien des aspects, nous ne pouvons affirmer que le songe est un rêve dans un rêve, et que nous soyons des cerveaux dans une cuve. En effet, nous ne pouvons avoir pleinement conscience qu’en étant éveillés. Nous ne pouvons pas savoir si tout ce que la vie nous offre à voir est fidèle à la réalité, mais nous avons la certitude d’exister dans la vie et d’en saisir la réalité. Même si nos sens nous trompent, quand nous sommes éveillés, nous ne rêvons pas.<o:p></o:p>


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