• Faut-il craindre la déflation ou l'inflation ?

     

    Faut-il craindre la déflation ou l'inflation ?

     

    « Faut-il craindre l'inflation ou la déflation ? » Une double problématique est ici sous-jacente. Tout d'abord, il s'agit de savoir quelle évolution, inflationniste ou déflationniste, serait la moins souhaitable et enfin, dans le contexte actuel de crise, vers quelle situation sommes-nous susceptibles d'évoluer. Les politiques budgétaires et monétaires expansionnistes développées dans beaucoup de pays peuvent laisser craindre un accroissement de la masse monétaire à l'origine d'une importante inflation. Néanmoins, si les dernières décennies avaient consacré la lutte contre l'inflation au profit d'une « désinflation compétitive », la crise actuelle a modifié les priorités des politiques économiques face à un risque qui se révèle plus dommageable et contre lequel on ne dispose pas de véritable remède : la déflation.

     

    Le phénomène de stagflation (soit une montée simultanée du chômage et de l'inflation) apparu dans les années 1970 après les chocs pétroliers a permis de mettre en valeurs les théories monétaristes. En réinterprétant la courbe de Phillips – précédemment reformulée par les keynésiens pour montrer que l'inflation est la contrepartie d'un faible taux de chômage – pour montrer le danger des politiques monétaires expansionnistes à la mode pendant les Trente Glorieuses. En effet, l'inflation non perçue devait provoquer chez les salariés une surestimation de leur salaire (indexé sur l'inflation) et donc provoquer une augmentation de l'offre de travail et de la consommation et donc une baisse du chômage. Seulement pour Friedman cet effet n'est que temporaire, l'inflation va être anticipée par les individus qui vont demander une augmentation de leur salaire ou leur revenus de transfert plutôt que d'augmenter leur offre de travail ; et la politique monétaire expansive n'aura pour seule conséquence qu'une forte inflation ce qui perturbe les informations des agents économiques et donc l'économie en général. Aussi, les salaires n'étant plus indexés sur les prix (afin de stabiliser l'inflation en limitant l'augmentation des salaires qui pousseraient pas voie de conséquence les prix à la hausse) l'inflation causée par des politiques monétaires (ou mêmes budgétaires) expansionnistes affecte le salaire réel et donc le pouvoir d'achat des ménages également. Aussi une forte inflation plombe le commerce extérieur, les biens et services nationaux parce que trop onéreux perdent en compétitivité dans un contexte de marché globalisé. Il existe à terme un risque d'hyperinflation (comme le Zimbabwe qui a connu en 2008 une inflation annuelle record de 2,2 millions pour cent) où l'inflation est telle que les agents perdent totalement confiance en la monnaie nationale préférant les devises étrangères, et se tournent vers les marchés étrangers paralysant totalement l'économie.

     

    Si l'inflation est à craindre, doit-on pour autant considérer la déflation comme positive ? Elle l'a été notamment lors de périodes de prospérité économiques comme entre 1873 et 1896 et entre 1921 et 1929. L'aspect favorable de la décélération, voire de la baisse des prix, c'est le progrès technique. Les innovations font fonctionner plus vite et mieux la machine économique ce qui entraine une baisse plus ou moins forte des prix. Néanmoins, la déflation peut se traduire par de nombreux aspects problématiques que peut relever la déflation, c'est quand elle résulte d'une baisse des prix « de crise ». Ainsi dans une économie de basse inflation, un choc récessif important peut entraîner un enchaînement déflationniste. Les salaires étant rigides à la baisse, la baisse du revenu nominal pèse davantage sur les profits. Face à cela, les entreprises se voient obligés de faire des économies en diminuant leurs dépenses d'investissement, voire leurs effectifs. Face à cette situation de crise et d'anticipations négatives, les ménages accroissent leur épargne de précaution, et cette hausse de l'épargne est d'autant plus forte que les ménages anticipent une baisse encore plus forte du niveau général des prix et reportent leur consommation. Cette baisse des dépenses privées est alors encore plus importante que celle provoquée par la baisse du revenu. Le recul de l'activité et donc la baisse des prix se trouvent ainsi accentués. En principe, nos économies sont dotées de stabilisateurs automatiques destinés précisément à éviter de tels enchaînements. Si ces amortisseurs ne suffisent pas, une spirale déflationniste risque de développer. Si rien n'est alors fait, le risque de basculer au stade où les anticipations de baisse des prix s'installent s'élèvera rapidement. La déflation est un cercle vicieux où toutes les conséquences sont procycliques.

     

    D'autres facteurs aggravants interviennent dans ce processus déflationniste. La déflation augmente en premier lieu les taux d'intérêts réels. En effet, le taux d'intérêt réel (r) est la différence entre le taux d'intérêt nominal (i) et le taux d'inflation (π) (r = i - π). Donc en situation de déflation, π devient négatif et .la soustraction se transforme en addition. Donc il devient plus coûteux d'investir, les projets sont de moins en moins rentables et les entreprises ne chercheront pas à contracter un prêt s'ils considèrent que le phénomène déflationniste n'est pas achevé. En revanche l'épargne est de mieux en mieux rémunérée et donc attractive. Cette hausse des taux réels se répercute de fait sur l'économie réelle. En outre, la déflation alourdit la dette en augmentant les taux d'intérêts réels comme nous venons de le voir. Les dettes privée et publique se voit augmentées, ce qui se traduit pas une augmentation générale des contraintes de remboursement, et de fait à une diminution de la consommation, des dépenses publiques et donc de la masse monétaire et de la vitesse de circulation de la monnaie du fait de l'effort accru de désendettement. Cette baisse des échanges et le dégonflement du volume de la monnaie en circulation accroit sa valeur et donc aggrave la déflation. Cette déflation alourdit la dette en augmentant les taux d'intérêt, etc. La déflation et la dette se nourrissent donc respectivement

     

    Pour limiter ce risque il paraît nécessaire de faire appel à un phénomène mal aimé depuis les années 1980 : l'inflation. La hausse des prix accroît les revenus des entreprises et de l'État alors que la charge de la dette reste constante. L'inflation semble le seul recours possible pour limiter l'effet boule de neige de la dette qui a – comme nous venons de le voir – des effets très nocifs sur l'économie en situation déflationniste. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont d'ailleurs choisi d'user de l'arme monétaire pour accroître l'inflation notamment en abaissant sensiblement les taux d'intérêts directeurs des banques centrales. Le danger de baisser trop fortement les taux d'intérêt serait de tomber dans la « trappe à liquidité ». En réaction à la baisse de l'activité et à la baisse de l'inflation, les banques centrales sont amenées à baisser les taux d'intérêt afin de soutenir la demande et limiter la désinflation. Seulement, la capacité de stabilisation des banques centrale peut buter sur une contrainte nominale car les taux d'intérêts ne peuvent pas être négatifs. En outre, cette situation devient encore plus problématique dès lors que les agents anticipent une baisse des prix qui accroît le taux d'intérêt réels : ceux-ci se retrouvent incités à augmenter leur épargne et par voie de conséquence la demande continue de chuter. Ici donc la politique monétaire devient totalement inopérante. Cette situation est d'autant plus probable que l'environnement est faiblement inflationniste. Or à l'heure actuelle, la situation est plutôt inquiétante : l'inflation reste très modérée (une prévision de 0,4% pour la France pour le mois décembre) alors même que la crise n'est pas encore derrière nous. Aussi, les banques centrales ont réagi assez rapidement en abaissant leur taux directeurs à 0,25% pour la Fed et 1,25% pour la BCE, mais les effets tardent se faire sentir sur l'inflation. Si la BCE gardent une certaine marge, la Fed atteint presque le niveau critique du taux zéro. La possibilité de tomber rapidement dans la « trappe à liquidité » n'est pas à écarter, ce qui rendrait complètement inopérante toute politique monétaire.

     

    Donc « faut-il craindre l'inflation ou la déflation » ? Si l'inflation a été le phénomène contre lequel il fallait lutter pendant ces dernières décennies au nom de la « désinflation compétitive » – situation idéale où l'inflation n'excède pas les 2% - il apparaît qu'en faveur de la crise, le risque de déflation est plus à craindre que celui d'une forte inflation. Aussi, l'économie mondiale actuelle possède des institutions et des mécanismes efficaces pour prévenir contre tout phénomène d'accroissement anormal de l'inflation : la BCE par exemple a pour principal objectif de lutter contre l'inflation. En ce qui concerne la déflation, nous ne disposons ni d'institution ni de théories pleinement efficace pour mettre un terme à une situation avancée de déflation. Il faut donc, quant à sa probabilité et quant à la nocivité de ses effets, davantage craindre une déflation qu'une inflation actuellement.


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